LE TCHAD DANS LA SPIRALE DU POUVOIR DES ARMES : ÉBAUCHE DE SOLUTIONS DE SORTIE DE CRISE

Yannick DJIMOTOUM YONOUDJIM

 

RÉSUMÉ

La République du Tchad a, depuis plus d’un demi-siècle, été le théâtre des conflits armés, des guerres et de domination par les armes sur l’échiquier politique et la vie publique. Ce pays s’est révélé très peu perméable à la culture politique et démocratique, tant l’enjeu des armes dans le jeu politique est prégnant. Certes, des réformes d’ordre juridique et institutionnel ont été initiées et implémentées. Néanmoins, ces réformes n’ont pu aboutir au résultat escompté, ¸à savoir la construction d’une société démocratique et pacifique et d’un État de Droit au service du développement. Toutefois, loin de tout fatalisme, le Tchad peut expérimenter à nouveau d’autres schémas lui permettant de retrouver une voie qui lui sied. À cet effet, des changements doivent être impulsés aussi bien sur le plan juridique et institutionnel que sur le plan de la construction et/ou de la transformation de l’Homme.

Mots clés : conquête militaire, pouvoir, Tchad, démocratie.

ABSTRACT

The Republic of Chad has, for more than half a century, been the scene of armed conflicts, wars and domination by arms on the political spectrum and public life. This country has proved to be very impervious to political and democratic culture, as the issue of weapons in the political game is so pervasive. Of course, legal and institutional reforms have been initiated and implemented. However, these reforms failed to achieve the desired result, namely the construction of a democratic and peaceful society and the rule of law in the service of development. However, far from any fatalism, Chad may again experiment with other patterns that will allow it to find a path that suits it. To this end, changes must be initiated both at the legal and institutional level and at the level of the construction and /or transformation of the citizen.

Keywords: military conquest, power, Chad, democracy.


Le Tchad, pays d’Afrique centrale et un État membre de la Communauté économique et Monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), est un pays sahélien limité au Nord par la Lybie, au Sud par la République centrafricaine, à l’Est par le Soudan et le Soudan du Sud et à l’Ouest par le Niger, le Nigéria et le Cameroun. Sur le plan politique, ce pays a connu un régime présidentiel, semi-présidentiel[1] et un régime présidentiel « intégral » introduit par la Constitution du 4 mai 2018 révisée le 20 décembre 2020[2].

À l’instar de la plupart des États africains de l’espace francophone, le Tchad n’a pas échappé à la bourrasque de la démocratie des années 1990 avec son corollaire, la tenue de la Conférence Nationale Souveraine (CNS) en 1993. Ces Assises nationales étaient censées définir les conditions et modalités de l’instauration de  la paix, de l’État de Droit et du  progrès du pays. Des Recommandations et Résolutions pertinentes sont issues de la CNS (réformes de l’armée, de la justice, de l’administration, du système éducatif, entre autres). Cependant, la mise en œuvre de ces Recommandations et Résolutions est, pour la plupart, remise aux calendes grecques, nonobstant le caractère exécutoire et souverain des décisions de la CNS. En effet, l’Acte de la souveraineté de la CNS adopté comportait les principaux points déclinés ci-dessous  :

-          la CNS est souveraine (article 1) ;

-          elle discute et prend librement ses décisions, qui sont impératives et exécutoires par les organes de la transition (article 2) ;

-           le Président de la République est le garant de la souveraineté nationale (article 3) ;

-          les institutions issues de la charte nationale restent en vigueur pendant la mise en place des institutions de la transition.

En tout état de cause, la République du Tchad s’est engagée dans un processus démocratique marqué par la mise en place des dispositifs juridiques et institutionnels susceptibles de régir la vie publique. Des élections présidentielles, législatives et communales ont été organisées de 1996 à 2021. Si les élections présidentielles étaient régulièrement tenues pour éviter un certain « vide juridique », les élections législatives et communales connaissent des retards et des différés qui entament la légitimité des élus. 

En effet, le Mouvement Patriotique du Salut (MPS), parti au pouvoir sous le défunt Président de la République Idriss DEBY ITNO, a souvent réfuté tout report de l’élection présidentielle (notamment celles de 2011 et 2021) qui occasionnerait un vide juridique. Pourtant, les élections législatives et communales censées respectivement se tenir en 2015 et 2018 ne sont pas organisées jusqu’à ce jour sans qu’un vide juridique ne soit invoqué.

Nonobstant ces efforts, certes perfectibles, le Tchad n’a pas rompu avec le cycle infernal de l’opposition armée et de la rupture du consensus républicain. Compte tenu de ce contexte, des dialogues sont organisés entre les forces vives de la Nation et des accords politiques [3] conclus sous l’égide de la communauté internationale. À l’exemple de l’accord du 13 août 2007, les accords politiques peinent à s’insérer dans la hiérarchie des normes, au point où  leur qualification et leur rapport avec la Constitution soulèvent des difficultés liées à leur valeur juridique et leur force obligatoire.

Quoi qu’il en soit, l’application des accords politiques a souvent achoppé. Il en a résulté des incursions rebelles à répétition, des élections contestées (le système électoral tchadien nécessite un travail de fond, notamment en ce qui concerne le Code électoral, le découpage administratif et le fichier électoral), des crises pré et postélectorales, une instabilité institutionnelle, des boycotts des élections, etc. En effet, plusieurs élections présidentielles ont été boycottées par l’opposition démocratique, notamment celles de 2006, 2011 et 2021 à défaut d’un consensus des acteurs politiques sur les conditions d’organisation de ces élections.

Le contexte tel qu’ébauché n’a guère favorisé la construction d’une démocratie soutenable. Par démocratie, on entend un système politique dans lequel le pouvoir et la souveraineté appartiennent au peuple qui les exerce soit directement en votant des lois (démocratie directe) ou à travers des représentants élus (démocratie indirecte). Elle peut également prendre une forme semi-directe en combinant des éléments puisés de la démocratie directe et indirecte[4].

La dernière élection présidentielle en date (11 avril 2021), comme une cerise sur le gâteau, s’est déroulée dans un environnement sociopolitique et sécuritaire tendu. Qui plus est, l’opposition démocratique a boycotté cette élection.

Alors que le Tchad ouvre une période de transition consécutivement à la disparition de l’ex-Président Idriss DEBY ITNO, il est de bon aloi d’esquisser des pistes de solutions pour une démocratie digne de ce nom. À cet effet, la présente réflexion se propose de dresser dans un premier temps un état des lieux des modes de conquête du pouvoir politique au Tchad sur fond de violence mêlée à une démocratie d’apparat (I), et dans un second temps de proposer des pistes de solutions pour l’édification d’une démocratie véritable (II), à partir de la période de transition en cours.

       I.            ÉTAT DES LIEUX DES MODES DE CONQUÊTE DU POUVOIR POLITIQUE AU TCHAD : DE LA VIOLENCE MÊLÉE A UNE DÉMOCRATIE D’APPARAT

De la période des indépendances à nos jours, la conquête du pouvoir et sa conservation sont, dans la plupart des cas, effectuées par la voie des armes (A) doublée d’un processus démocratique mitigé (B).

A.    La prédominance de la prise et de la confiscation du pouvoir par les armes

De toute évidence, le pouvoir politique a le plus souvent été conquis par les armes[5]. Aux coups d’État ont succédé des incursions rebelles, confortant ainsi l’expression « démocratie au bout du fusil ». Qu’il s’agisse de la prise du pouvoir ou sa conservation, la force des armes a souvent été mise à contribution. En effet, le Tchad a connu de multiples coups d’État après les indépendances et avec l’avènement du processus démocratique enclenché dans les années 1990.

L’on peut constater avec Mahamat-Ahmad ALHABO que :

De 1962 à 1990, le pays connut plusieurs régimes dictatoriaux, les révoltes des FROLINAT, plusieurs interventions militaires étrangères, notamment françaises. C’est la période de parti unique, à l’exception de la période de guerre civile généralisée où plusieurs tendances politico-militaires se sont affrontées. A partir de juin 1982, les Forces Armées du Nord (FAN) de Hisseine Habré eurent le dessus et réinstaurèrent le Parti unique. Les FAN se muèrent en Union Nationale pour l’Indépendance et la Révolution (UNIR).

Outre la prise du pouvoir, la conservation du pouvoir se fait également par la force des armes, marquant ainsi la confiscation du pouvoir. Cette confiscation du pouvoir est faite en violation des droits humains, des libertés fondamentales et des instruments juridiques (Constitution, Conventions internationales, lois et règlements) qui encadrent la conquête, l’exercice et la conservation du pouvoir. La période allant de 1990 à 2021 offre une belle illustration factuelle à ces constatations. Après la tenue de l’élection présidentielle de 2016, alors que la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) était sur le point de publier les résultats provisoires, le Gouvernement a déployé un important dispositif militaire donnant à certaines villes du Tchad (N’Djamena, Moundou, Doba, Abéché) les allures des localités assiégées. Cet état de fait caractérise « [u]ne vraie jungle où le plus fort gagne et se maintient ».

B.     L’instauration d’une démocratie de façade

À l’euphorie des années 1990 suivie des espérances suscitées par la Conférence Nationale Souveraine, a succédé un désenchantement quant à l’instauration d’une démocratie véritable. En effet, la déclaration de l’ex-Président de la République après sa prise de pouvoir en 1990, « Je ne vous apporte ni or ni argent, mais la liberté (…) », qui a suscité une lueur d’espoir n’était pas suivie de réformes profondes de nature à instaurer la démocratie.

Quand bien même des textes juridiques importants ont été adoptés (la Constitution tchadienne de 1996 révisée en 2005 et des lois et règlements régissant la vie publique : la presse et les médias, les associations civiles et les partis politiques, les élections, etc.), des institutions mises en place, force est d’observer que le processus démocratique enclenché bat de l’aile. Les possibilités d’une alternance démocratique et pacifique ont été savamment annihilées laissant libre cours aux contestations armées.

Les autorités tchadiennes se sont contentées de mettre en place des dispositifs (textes juridiques et institutions, création d’organes de presse et de médias, création des partis politiques et d’associations, etc.) susceptibles de régir la démocratie. Le fonctionnement de ces dispositifs n’a pas préoccupé les autorités, tant elles y voyaient une sorte de contre-pouvoir, d’adversité et d’opposition. Ce constat, qui trahit quelque peu un déficit de culture politique, vaut notamment pour la presse privée, les Organisations de la Société Civile indépendantes du pouvoir et l’opposition démocratique.

À l’occasion des consultations électorales ou en temps normal, les moyens d’État sont utilisés à profusion par le parti au pouvoir. À titre d’exemple, les médias d’État ne sont que très peu accessibles aux partis politiques d’opposition et aux Organisations de la Société Civile (OSC).

Par ailleurs, l’administration territoriale est fortement politisée et militarisée. Ce constat n’est pas que celui des forces politiques internes. Les partenaires du Tchad, tels la Délégation de l’Union européenne et les Nations unies l’ont reconnu.

    II.            LES PISTES DE SOLUTIONS POUR UNE SORTIE DE CRISE : RÉFLEXION À PARTIR DE LA PÉRIODE DE TRANSITION EN COURS

Dans le registre des pistes de solutions, il sied de proposer un schéma de sortie de crise d’ordre institutionnel (A) d’une part, et des pistes de solutions du ressort personnel d’autre part (B). Les pistes de solutions peuvent connaître un début d’exécution au cours de la période de transition et se poursuivre dans le cadre d’un mandat régulier. En effet, une transition n’a pas vocation à résoudre de nombreux défis précédemment identifiés.

A.    Un schéma d’ordre institutionnel

Ø  La démilitarisation de l’espace politique

Le pouvoir politique au Tchad a longtemps été militarisé, soit parce qu’il est exercé par des militaires, soit par des civils/maquisards qui lui confèrent un caractère militaire. À cet égard, l’administration territoriale et certains leviers du pouvoir (l’administration douanière par exemple) se trouvent fortement militarisés. De surcroît, cette militarisation à outrance du pouvoir contribue à desservir la gouvernance à cause de l’absence ou de l’insuffisance de formation des militaires.

À l’occasion de l’ouverture d’une transition tout aussi militaire, la démilitarisation[6] du pouvoir politique et de la vie politique apparaît comme une nécessité impérieuse. Une telle option contribuerait à briser l’idée d’un Tchad « territoire militaire » qui n’a de valeur que pour préserver les intérêts stratégiques des puissances étrangères, notamment ceux de la France.

L’enjeu d’une démilitarisation s’explique par la nécessité de libérer véritablement l’espace politique, et donc les énergies et l’intelligence collective des acteurs, à l’effet de bâtir une démocratie, socle du progrès. C’est pourquoi l’accord politique du 13 août 2007 a préconisé une démilitarisation de l’administration territoriale. Cependant, son application a posé problème.

Ø  La construction des institutions durables

Au sortir de la CNS de 1993, la République du Tchad a mis en place des instruments juridiques et institutionnels à l’effet de mettre en œuvre le processus démocratique et d’édifier un État de Droit. Cependant, l’expérience a montré  que la viabilité et la solidité de ces institutions étaient sujettes à caution. En effet, la plupart des institutions mises en place (Conseil constitutionnel, Haute cour de justice, Haut conseil de la communication, Conseil économique, social et culturel, Cour suprême, Cour des comptes, etc.), à travers leurs règles d’organisation et de fonctionnement, se sont transformées en des chambres d’enregistrement[7] des desideratas du pouvoir. Les institutions de la République n’ont pas rempli les missions pour lesquelles elles ont été créées. Composées des personnalités issues du parti au pouvoir ou des partis alliés, ces institutions peinent à assumer leur indépendance pour se révéler viables et solides. Par conséquent, le jeu politique en prend un coup.

Au regard de ce qui précède, le Tchad a besoin, aujourd’hui, plus qu’hier, des institutions fortes, viables et durables à même de soutenir le processus démocratique. À cet égard, les sources d’inspirationne manquent pas en Afrique francophone comme en témoignent les expériences[8] sénégalaise, béninoise, malienne et nigérienne. En effet, dans ces pays, aussi bien l’Assemblée nationale ou le parlement selon le cas que la juridiction constitutionnelle ont respectivement contrôlé l’action gouvernementale, pris des décisions et émis des avis conformément au Droit et parfois à l’encontre des intérêts des partis majoritaires. A titre d’illustration :

Dans son arrêt 2009 06 1(JN), la Cour constitutionnelle du Niger s’est opposée à la tentative du président Mamadou Tandja de contourner les limites imposées aux mandats présidentiels, car la Constitution du pays prévoit l’immutabilité de la disposition relative à la durée du mandat présidentiel. La décision était principalement axée sur les aspects procéduraux (la Constitution n’autorise pas le président à initier la procédure envisagée par M. Tandja), mais elle mentionne également la violation de l’immutabilité de la clause »[9]. Dans le même esprit, « la Cour constitutionnelle béninoise est également renommée pour sa jurisprudence penchant largement en faveur de la protection des droits fondamentaux.[10]

Ces expériences sont certes perfectibles, mais elles se sont démarquées du lot des États d’Afrique francophone. Toutefois, s’inspirer des modèles institutionnels étrangers ne voudrait pas signifier faire un mimétisme systématique comme ce fut le cas pour de nombreuses Constitutions des États africains francophones calquées sur la Constitution de la Vè République française.

B.     L’impérieuse nécessité de transformation des élites et du peuple

Ø  La transformation des élites politiques

Les élites politiques également ont des défis personnels à relever. En effet, les soubresauts, les crises politiques et la mauvaise gouvernance que le pays a connus depuis les indépendances amènent logiquement à questionner la capacité des élites politiques à proposer des projets de société tendant à bâtir une République démocratique, stable et résolument engagée sur la voie de développement.

Certes, le Tchad ne manque pas de personnalités politiques ou publiques crédibles et d’une certaine envergure. Toutefois, l’engagement politique d’une partie de cette élite ne manque pas de susciter nombre d’interrogations, tant les partis politiques peinent à proposer des offres politiques alternatives, une certaine vision de l’avenir. Par ailleurs, les motivations qui sous-tendent l’engagement en politique ne sont pas toujours la volonté de servir la communauté nationale, mais une certaine volonté de se « servir soi-même ».

Pourtant, Danielle Béatrice Ongono Bikoe considère que le changement attendu de l’élite « [n]e sera possible que si chaque citoyen pense au développement du pays, s’engage à refuser toute corruption (matérielle ou morale) et fonde ses choix politiques sur des motivations — constructives — et non sur des motifs purement égoïstes. »[11].

Au-delà d’une certaine transformation, et face à la gangrène de la corruption, du détournement des biens publics et du faux banalisé, il est impérieux que la justice contribue à l’assainissement de la vie publique. La justice, si elle est saisie des affaires mettant en question la moralité publique, doit en toute indépendance instruire, juger et faire exécuter les décisions qui en seront issues. A cet effet, les procureurs généraux, les procureurs de la Républiques près les juridictions et les juges d’instruction auront un rôle avant-gardiste à jouer. Ce qui n’exclut pas la contribution tout aussi essentielle d’autres juges du siège et des auxiliaires de la justice (Avocats, Huissiers, etc.).

Au demeurant, il appartient à la justice tchadienne qui fait l’objet des critiques mettant en cause son indépendance et sa capacité à contribuer à la construction d’un État de Droit, d’une démocratie et d’une bonne gouvernance, d’affirmer et d’assumer son indépendance.

Ø  La transformation des mentalités du peuple

La République du Tchad a longtemps baigné dans des guerres fratricides et des rébellions récurrentes. Les fibres ethnique et religieuse ont été attisées et manipulées pour servir des desseins inavoués. La guerre de 1979 présentée comme la plus atroce a eu pour effet de développer le repli identitaire et le communautarisme[12]. S’agissant du repli identitaire, force est de constater qu’il est manifeste dans les grands centres urbains. A titre d’exemple :

Des nouveaux quartiers se constituent sur des bases ethniques et qui parfois portent des acronymes identitaires. C’est ainsi qu’apparaissent dans la capitale des quartiers comme ‘’Walia Hadjaraï’’ dont la majorité des résidents sont des Hadjaraï, ressortissants de la région du Guéra ; dans le quartier ‘’Kanembouri’’ ne sont regroupés que des Kanembou, tous originaires du Kanem ; dans le quartier ‘’Sara-Moursal’’ ne résident en majorité que des Sara, originaires des régions méridionales, etc. Ainsi, se développent des solidarités ethniques de plus en plus fortes et qui s’institutionnalisent parallèlement à l’administration centrale autour des chefs appelés ‘’chefs de race’’ dont la mission est de défendre les intérêts de la communauté qu’ils représentent devant toutes les circonstances[13].

Toutefois, les populations tchadiennes aspirent légitimement à un autre Tchad, un Tchad débarrassé de la haine et de la violence communautaire[14]. Des Organisations de la Société Civile comme le Comité de Suivi de l’Appel à la Paix et à la Réconciliation (CSAPR) œuvrent depuis au moins deux décennies en faveur du dialogue, de la réconciliation et de la paix.  A titre de rappel, en date du 16 novembre 2002, sur l’initiative du Collectif des Associations de Défense des Droits de l’Homme (CADH), plus de 150 acteurs de la vie publique se sont rassemblés et ont recherché les causes de la situation de non-paix quasi-permanente au Tchad. Pour remédier à cette situation et après débats, les participants ont décidé de mettre en place un processus de négociation collective afin de poser les bases politiques de la construction d’une paix véritable au Tchad. Pour ce faire :

 un Appel à la paix et à la réconciliation a été lancé auprès des acteurs de la vie sociale et politique afin de proposer des pistes de solutions globales aux problèmes évoqués : assurer la bonne gouvernance et la bonne gestion du pays, régler le problème de l’armée (composition ethnique, impunité…), réforme de la justice, redéfinition de la forme de l’État (décentralisation, fédération…)[15].

Dans la perspective de la construction d’une société démocratique et d’un État de Droit, les citoyens ont un rôle majeur à jouer. Pour ce faire, les mentalités rétrogrades doivent faire place à une mentalité saine, dépoussiérée et tournée vers le progrès. L’école (à travers une refonte de l’instruction civique notamment) et la société civile doivent être mises à contribution. Même si à ce jour l’école tchadienne fait face à de nombreux défis qui plombent sa qualité, elle gagnerait à faire œuvre utile. En effet, la politique tchadienne a contribué à détruire les fondements du système éducatif en ce que les pratiques clientélistes, népotistes, l’instabilité gouvernementale et la politisation y ont droit de cité.

En tout état de cause, l’on peut s’accorder avec Danielle Béatrice Ongono Bikoe que :

Il est important que le système d’éducation explique (…) aux populations ce qu’est la démocratie. (…). Par l’éducation, on devrait faire comprendre aux citoyens que la politique est une bataille d’idéologies et qu’elle ne devrait pas dégénérer en conflits armés qui, loin de construire et de servir les intérêts de la nation, détruisent et ne profitent qu’à des particuliers.

D’autres institutions sociales (la famille et la religion notamment) peuvent contribuer à préparer un citoyen nouveau à même de jouer sa partition dans le processus démocratique. Concrètement, il est nécessaire que la famille et la religion inculquent à leurs membres des valeurs de paix, de tolérance et les principes d’égalité, de respect du bien commun et de la participation à la gestion de la chose publique.

La transformation des mentalités vise, à terme, à avoir des citoyens exigeants vis-à-vis des dirigeants dans une démarche de redevabilité et d’une obligation de résultat.

Conclusion

Des développements qui précèdent, il y a lieu de relever que la vie politique au Tchad a, depuis les années 1960, été dominée par la violence sous toutes ses formes. La prise du pouvoir et sa conservation n’ont pas été épargnées par cette violence devenue un mode d’expression. En dépit des efforts accomplis dans l’optique d’instaurer la démocratie et l’État de Droit, force est d’observer que les relents autoritaires, la mauvaise gouvernance, les guerres fratricides, et globalement les reculs antidémocratiques ont refait surface. À l’occasion de la transition ouverte en date du 20 avril 2021, la République du Tchad dispose d’une possibilité de remettre la pendule à l’heure pour bâtir une société démocratique et un État de Droit résolument engagé vers le progrès. Un tel idéal n’est possible que si les Tchadiennes et Tchadiens décident de dialoguer sincèrement et de façon inclusive pour enfin fumer le calumet de la paix.

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Yannick DJIMOTOUM YONOUDJIM est né le 12 octobre 1989 à N’Djamena (Tchad). Il est Juriste spécialisé en Droit communautaire et comparé CEMAC, Avocat stagiaire à la Société Civile Professionnelle Kreich Avocats et écrivain.

Yannick DJIMOTOUM YONOUDJIM est auteur d’un certain nombre de publications notamment :

·         Une nouvelle intitulée « La Marche de Madjidéné » publiée au recueil les Rayons d’ensoleillement de l’Association pour le Développement Culturel (ADEC) en 2016 ;

·         Un article intitulé « Contribution de la jeunesse à l’impulsion et la consolidation des dynamiques de préservation de l’environnement » paru dans l’ouvrage collectif J’ai à cœur ma planète (2016) du Bureau Régional Afrique Centrale (BRAC) de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) ;

·         Un recueil de nouvelles intitulé « Une aube qui frémit » publié en décembre 2019 chez Edilivres ;

·         Un ouvrage intitulé «     Politiques budgétaires du Tchad et le mécanisme de contrôle de la CEMAC » publié en mars 2020 aux Editions Universitaires Européennes.

Par ailleurs, Yannick DJIMOTOUM YONOUDJIM milite dans des associations de la société civile.

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Les réflexions contenues dans cet article n’appartiennent qu’à leur(s) auteur(s) et ne peuvent entraîner la responsabilité de Justice en Action (JEA) et des personnes qui l’ont révisé et édité.

 

 

 



[1] Constitution de la République du Tchad du 16 mars 1996, révisée en 2005.

[2] Constitution de la République du Tchad du 4 mai 2018, révisée le 20 décembre 2020.

[3] P. MAMBO, « Les rapports entre la constitution et les accords politiques dans les États africains : Réflexion sur la légalité constitutionnelle en période de crise », Revue de droit de McGill, Volume 57, numéro 4, juin 2012, pp. 3-5.

[4] G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 11è édition, 2017, p.326.

[5] « Depuis l’indépendance, l’armée a connu des bouleversements majeurs et a été remodelée au fil des crises successives que le Tchad a traversées. Dans un pays où tous les présidents, à l’exception du premier, ont pris le pouvoir par les armes, les forces armées ont progressivement vu cohabiter militaires de carrière et anciens rebelles parvenus au pouvoir, ou réintégrés dans le cadre d’accords de paix. » Cf. Les défis de l’armée tchadienne, Rapport Afrique de Crisis Group N°298, 22 janvier 2021.

[8]D. DIA, Les dynamiques de démocratisation en Afrique noire francophone, thèse de doctorat en Science Politique, Université Jean Moulin Lyon 3, 26 mai 2010, p.429.

[9]M. BÖCKENFÖRDE, B. KANTE, Y. NGENGE, H-K. PREMPEH, Les juridictions constitutionnelles en Afrique de l’Ouest Analyse comparée, 2016, Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale, P.155.

[10] Ibid, p.122.

[11] D-B. ONGONO BIKOE, « Changement des mentalités et changements institutionnels : des impératifs pour crédibiliser la démocratie en Afrique », Revue Éthique publique VOL. 13, No 2/2011.

[12] L. GONDEU, « La dynamique d’intégration nationale : dépasser la conflictualité d’un Etat entre parenthèses », Sahel Research Group Working, Paper No 006, octobre 2013, p.51.

[13] S-A. ADOUM, « Tchad : des guerres interminables aux conséquences incalculables », Presses Universitaires de France, « Guerres mondiales et conflits contemporains », 2012/4 n° 248 | p.52.

[14] Ibid, p.7-8.

[15] Comité de Suivi de l’Appel à la Paix et à la Réconciliation au Tchad, Conférence de Presse, mardi 21 février 2006, CAPE Paris, p.2.

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