TCHAD : LA COUTUME DE LA PRISE DU POUVOIR PAR LES ARMES
Bref retour historique…
On
annonce une nouvelle fois une colonne rebelle, entrée par la frontière tchado-libyenne,
avec pour objectif la prise du pouvoir. Une offensive sur la
capitale N’Djaména serait imminente d’après des sources concordantes. Certaines
ambassades étrangères invitent leurs ressortissants à la vigilance et,
ultimement, à quitter le plus rapidement possible le territoire tchadien[1]. Cette nouvelle incursion est
pour le tchadien lambda une énième rediffusion d’un film de guerre déjà suivi.
En
effet, depuis les indépendances le 11 août 1960 et la remise du pouvoir
par l’ancien colon au premier président François Tombalbaye, la force a été
instaurée comme règle de prise de pouvoir. Des groupes armés s’organisent et
viennent renverser le gouvernement en place, quand ils y parviennent. Tombalbaye
a été tué par un coup d’État militaire le 13 avril 1975,
une guerre
civile éclate en 1979, un gouvernement d’union nationale
réunissant des groupuscules politico-militaires se met en place, Hissein
Habré renverse Goukouni Oueddei et prend le pouvoir par
la force en 1982, lui-même chassé plus tard par l’un de ses bras droits Idriss
Deby en 1990. Plusieurs autres tentatives de prise de pouvoir par les armes
n’ont pas abouti. Je viens d’apprendre, juste avant la publication de cet
article, que le président Idriss Deby est mort. Il aurait succombé à ses
blessures suite à des affrontements armés. Vous l’aurez compris, c’est une
vraie jungle où le plus fort gagne et se maintient.
Que
fait le peuple tchadien dans tout ça…
Jusqu’aujourd’hui,
le peuple n’a pas vraiment eu son mot à dire. Il subit assez passivement la
succession des événements, non pas par manque de volonté, mais par incapacité
d’influer sur le cours de son histoire. Du moins dans la logique des armes mise
en place. Il a fini par mettre ses espoirs de meilleure gouvernance et d’un
avenir meilleur sur chaque nouvelle offensive politico-militaire qui s’en
vient. Mais il aura vite compris que chaque rébellion, mue par ses propres
intérêts, considère le Tchad comme un butin de guerre à gagner et se partager
au prix du sang. Il ne s’empêche pas cependant de continuer à acclamer et
encourager la rébellion, dans son désespoir profond. Après tout, la lutte armée
n’est-elle pas érigée en règle coutumière de prise de pouvoir ? Et en la
matière, les puissances étrangères sont plus décisives que cette impuissante
population tchadienne.
Et
la démocratie…
Aucune
élection n’a permis une alternance politique depuis 1996. Deby totalise
aujourd’hui 31 ans au pouvoir. Il est encore annoncé vainqueur de
l’élection du 11 avril 2021, ses principaux rivaux de l’opposition ayant retiré
leurs candidatures ou été empêchés de prendre part au scrutin. L’opposition
politique et la société civile tchadienne subissent une forte oppression du
gouvernement en place. Toute
manifestation pacifique est interdite et réprimée,
sauf celles qui soutiennent le pouvoir en place. Le denier triste événement est
le tir
de gaz lacrymogène au sein d’une école primaire et collège par
les forces de sécurité en répression à une manifestation des diplômés sans
emplois.
Sur
la question de l’alternance, il faut avouer qu’elle ne concerne pas que le
parti au pouvoir. L’opposition politique également n’a gardé que les mêmes vieilles
figures. Il s’est construit progressivement une sorte de classe politique avec
les mêmes noms, les enfants héritant de leurs parents. Ce constat n’étonne pas
vraiment étant donné la patrimonialisation, l’ethnicisation et la clientélisation
de la politique au Tchad. L’actuel président a su d’ailleurs tirer subtilement
cette corde pour s’assurer une longévité au pouvoir. L’apparition récente et
opportune des jeunes figures dans la sphère politique apporte cependant un
souffle nouveau. Des
avancées majeures sont à mettre au crédit de cette nouvelle vague
(comprenant acteurs politiques et de la société civile) qui a décidé de prendre
son destin en main en exerçant, contre vents et marrées, ses droits et libertés
à la participation politique, à la réunion et à la manifestation pacifique.
Le
rôle de l’élite intellectuelle…
Je
partage ici un commentaire sur Facebook qui m’a valu les invectives d’un
collègue aux positions ambiguës, et qui pourtant me concerne autant que tout
intellectuel tchadien : « Je comprends ta situation, celle de l’“intellectuel”
tchadien qui arrive au carrefour de sa vie, partagé entre la recherche d’une
carrière paisible et florissante garantie par une politique du ventre, et sa
conscience qui l’oppose systématiquement à un système de mal gouvernance et d’injustice
patentes. Mon frère, arrête de jouer sur les mots, fais ton choix et fonce. Tu
ne seras ni le premier ni le dernier. Cette tiède neutralité fera qu’on te vomira,
de partout ». Pardonnez-moi la syntaxe, car c’était un commentaire instantané,
mais ces mots sont une exacte caricature du dilemme de l’intellectuel tchadien.
Il a le choix entre le silence et l’acceptation du système en place et la
dénonciation et le rejet du système.
Avoir
un diplôme universitaire et un parcours exemplaire ne suffit pas pour obtenir
un emploi au Tchad. Le processus d’entrée à la fonction publique est opaque. La
connaissance et la science ne sont pas valorisées. Même avec un parcours
universitaire exemplaire à l’étranger, on a toutes les chances d’être
clochardisé au Tchad. Face à ce système, certains préfèrent rester à
l’étranger, choisir le chemin de l’exil pour valoriser leurs compétences. D’autres
rentrent et se mettent au service du système, parfois avec la grande ambition
de le changer de l’intérieur. Il existe aussi une petite minorité qui dénonce
les dérives du système, au prix de sa vie, de son avenir et de ceux de ses
proches, et qui mérite d’être saluée.
Le
bilan…
Avant
de se prononcer sur l’avenir, faisons le bilan du passé. Le constat est
évidemment celui de l’échec, pas d’un seul ou de certains, mais de tous. Les
luttes armées perpétuelles n’ont pas amené la démocratie au Tchad. Chaque
groupe armé arrive avec son propre agenda qui, du moins jusqu’aujourd’hui, ne
répond pas aux aspirations du peuple. Les droits civils et politiques sont
bafoués et la lutte armée a été érigée en règle d’alternance politique. Le
Tchad n’est pas à mesure de répondre aux besoins primaires de sa population,
qui elle-même s’est longtemps cantonnée dans la passivité. Le système éducatif
est mis à mal à force de grèves perpétuelles. Le chômage atteint son summum et
la jeunesse est sacrifiée. La corruption est érigée en système de gouvernement
et le népotisme en règle d’État. L’État est privatisé et les biens publics sont
assimilés aux biens privés de quelques-uns. Même la capitale politique
N’Djaména n’est pas couverte en eau et en électricité. Bref, le Tchad est bien
loin en arrière de son époque.
Que
nous réserve l’avenir…
L’avenir
s’annonce très beau pour le Tchad, car plus que jamais la population tchadienne
a pris conscience et aspire à quelque chose de mieux. Le changement est inéluctable.
La génération postcoloniale, qui ne s’est pas tout à fait démise de ses réflexes
de soumis, fait peu à peu place à une nouvelle génération fière et debout.
Les gouvernements postcoloniaux, basés sur une réplique coloniale de servitude
et d’une allégeance externalisée, feront place à de nouveaux gouvernements
soucieux des intérêts nationaux. L’abnégation et le courage de la nouvelle
génération aboutiront à un système juste et égalitaire pour tout tchadien et
toute tchadienne. La prise des pouvoirs par les armes doit être définitivement
bannie grâce à la construction d’une conscience nationale commune. L’aspiration
à la justice et à l’égalité s’est ancrée dans la pensée populaire. Les
dernières avancées politiques, avec l’apparition de nouvelles tendances
progressistes, promettent des perspectives optimistes. La lutte pour le salut du Tchad doit se poursuivre.
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Les
réflexions contenues dans ce billet n’appartiennent qu’à leur(s) auteur(s) et
ne peuvent entraîner ni la responsabilité de Justice en Action ni
des personnes qui ont révisé et édité ce billet, qui ne constitue pas un avis
ou conseil juridique.
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